Par Honorine Causette
Quand un vicomte, récemment (il y a quelques mois…), me demandait au bistrot ce que je pensais du futur festival Voix vives qui doit voir le jour à Sète cette année, je lui ai dit que ce qui se faisait à Lodève précédemment était vraiment très alléchant, que chaque programmation me donnait envie d’y aller et qu’on ne pouvait rien en dire de mal. Rien.
“Ce que ça coûte ?” Ah, oui… ce que ça coûte… “Et pour qui ?”… “Oui, bon, d’accord” je lui ai dit, “mais ça c’est une autre histoire… c’est l’histoire de LA culture, du politique qui fait son marché dans le marketing de LA culture… et ça c’est un peu long comme histoire”.
Alors le vicomte m’a dit : “t’es pas Honorine Causette des Vicomtes de Brageoles pour rien. Ecris-là, l’histoire. On a un blog : on la mettra dedans.”
La culture est un mot nouveau, en fait. Enfin, LA culture. Toutes les collectivités locales ont désormais leur politique culturelle, essentiellement faite de festivals et de soutiens à quelques initiatives portées par des artistes du cru. Avant, il n’y a pas si longtemps, LA culture n’existait pas. On parlait d’éducation du peuple, d’éducation populaire, d’émancipation collective des individus ; puis on a parlé d’animation socioculturelle parce que “éducation”, “peuple”, c’était un peu gros comme mots et vachement ambitieux comme projet ; puis le “socio” a sauté, cela faisait pouilleux un peu, on a gardé “animation culturelle” ; puis animation ça a fait plouc aussi… et, pouf (je résume), au tournant des années 80, c’est devenu LA culture. A laquelle il ne fallait pas toucher, sinon on devenait aussi ploucs que le socioculturel d’antan. Voire pire, réac, de droite… que dis-je… crypto-fasciste, même. L’horreur.
Alors on n’a plus rien dit. On a fait le dos rond et on n’a plus osé rien dire quand tout, et avec n’importe quoi, est devenu “culture” pourvu qu’un artiste “accrédité” signe l’oeuvre en dessous, en la vendant au prix fort, c’est beaucoup plus crédible. Le politique (au sens pas noble du terme) a compris son intérêt dans l’affaire. Fallait, pour faire “branché”, ouvert aux nobles idéaux, et développer une “image attractive”, s’intéresser à LA culture. Pas celle qui faisait le miel de tous ces centres sociaux, maisons des jeunes, foyers ruraux, etc., tout au long des mois et des années, pas celle qui avait pour but cette émancipation de tous par l’apprentissage d’une vie collective au travers de pratiques sportives et culturelles.
Non, LA culture.
LA culture indépassable. Celle qui élève l’âme… Si on y accède. Si on n’y accède pas, il reste toujours TF1. Et alors la culture est devenu un mot “chiant”. Tout était culture et plus rien ne l’était, on était perdu, on ne savait plus où aller. Y en a qui sont restés devant TF1, du coup. Beaucoup. D’autres qui sont allés de festivals en festivals s’élever l’âme, pour un plaisir personnel qui n’avait plus grand chose de collectif. Et d’autres ont décidé d’en faire à leur tour, de LA culture, parce qu’y a pas de raison, non plus... Mais, en devenant un mot chiant, LA culture est devenue un enjeu. De pouvoir et d’argent.
Ça ne regardait plus vraiment le populo, cette affaire : ça c’est magouillé entre professionnels de la profession, politiques locaux, ministère concerné, artistes et “médiateurs culturels” de tous ordres. Une affaire de subventions qui tombent là où ailleurs, suivant le vent qu’il fait et la mode du moment. Une affaire de “marketing”.
LA culture, ça a commencé à faire joli. Un peu comme de l’éclairage sur un bâtiment public : LA culture en décor, ça fait venir le visiteur et c’est bon pour le commerce, ça donne une bonne “image”. Une image…
De temps en temps, quelques-uns ont dit : “et le public ?”. Ben oui… entre temps, avec la mise à mort de l’éducation populaire, le peuple était devenu “public”. Assez restreint, faut bien le dire, question de moyens et de désir aussi… Pourquoi aller découvrir ce que l’on ne connaît pas quand on n’a pas créé de désir ? Mais bon, c’est une autre question, ça… Bref : en devenant un gros mot incontournable, LA culture est restée le privilège de quelques-uns. Quand, dans les maisons des parents des années 60 et 70, il était bon d’avoir quelques dizaines de livres dans une petite bibliothèque, il n’en restait plus qu’une vingtaine dans les années 80. Et les parents d’aujourd’hui… ben, dans le meilleur des cas, ils ont une jolie télé et disent à leurs enfants : “c’est pas la peine que tu le lises, ils en ont fait un film”. Voilà. Soit on se satisfait de ça et on se dit que l’essentiel c’est que nos salles de théâtre soient remplies, soit on garde au cœur ce désir de l’émancipation du peuple, d’une éducation culturelle qui est aussi une éducation politique et on est bien dans la merde, isolé et souvent malheureux.
Malheureuse en l’occurrence.
Voilà, cher Vicomte, un peu tardivement, cette triste petite histoire et croyez-moi toujours votre fidèle Honorine Causette.
Sète "le théatre de la Mer"